Mon nom est Lyndi, j’ai 34 ans. Je suis beaucoup de choses pour beaucoup de gens : je suis une sœur, une fille, une tante et une amie. Pas encore mère, mais j’espère l’être un jour. Je suis une patiente d’une clinique spécialisée en obésité pour adultes à Edmonton (aussi connue sous le nom de Weight Wise Clinic). Pendant mon temps libre, j’aime lire et écrire. J’espère pouvoir retourner à l’école bientôt pour obtenir mon diplôme d’études secondaires.
Comment percevez-vous votre corps ? Avez-vous l’impression que votre perspective diffère de celle de la société ? Comment cela vous influence-t-il et comment vous sentez-vous par rapport à vous-même aujourd’hui ?
La perception que j’ai de moi-même peut être une chose difficile à cerner. Elle fluctue d’un jour à l’autre. Un jour, tout va bien et le lendemain, pas tant que ça. Parfois, c’est juste une petite chose qui m’entraine dans une spirale qui m’entraîne vers le fond. Cependant, avec le temps la situation s’est beaucoup améliorée. Je me comprends mieux et je sais ce qui m’a mené là où je suis aujourd’hui. Depuis que j’ai commencé à la clinique, j’ai acquis une meilleure compréhension de comment je fonctionne de l’intérieur. Je suis maintenant mieux équipée pour repérer ma petite voix de jugement intérieur et ainsi réaliser que c’est correct. Tout le monde a quelque chose qu’il n’aime pas chez lui. J’essaie de ne pas me concentrer sur mes défauts ou sur ce que je perçois comme étant négatif sur moi. Je fais un truc maintenant, pour chaque chose négative que je me trouve, je dois la compenser avec trois choses positives. Je pense que, dans l’ensemble, la perception que j’ai de moi-même correspond probablement à ce que pense la société de moi. Il y a tellement de désagréables perceptions concernant l’obésité dans le public. Je reviens de tellement loin, que je refuse de laisser quoi que ce soit me faire reculer maintenant.
Comment les thèmes de l’image de soi, du poids et de la santé ont-ils été abordés lorsque vous étiez jeune ? Comment cela influence-t-il votre façon de penser et de parler du corps et du poids maintenant ?
Ces choses n’étaient jamais discutées. Ma famille n’est pas très bavarde lorsqu’il s’agit de ce genre de choses. Même à l’école, je ne me souviens pas qu’on ne m’ait jamais vraiment parlé d’image corporelle, d’estime de soi, etc. C’était plus ou moins juste « Tout le monde est différent, c’est bien ainsi. Ne taquinez pas les autres… bon maintenant, tout le monde s’entend » et c’était tout. Je pense qu’après toutes ces années sans n’en parler, c’est devenu tabou. C’est tellement loin de ma zone de confort que ce n’est même pas drôle, mais je me suis dit que je devais briser ce cycle vicieux quelque part et l’affronter de front. Car ça ne va pas s’en aller tout seul.
Pouvez-vous me parler d’une situation où vous avez ressenti de la discrimination ou un jugement envers vous (ou pour une autre personne) en raison de votre poids ou de votre corpulence ? Et pourquoi cette expérience précise se démarque-t-elle dans votre esprit ?
Il est difficile de choisir qu’un seul cas. C’est arrivé tout au long de ma vie. J’ai toujours été la « grosse » fille. On s’est moqué de moi sans pitié pendant tout au long de mes années à l’école. J’ai décroché en 9e année a était dû, en grande partie, à cette intimidation. Ma propre famille m’a taquiné en grandissant, je sais qu’ils ne voulaient pas me faire du mal, mais à la fin, il devient difficile de séparer ce qui était une blague, de ce qui était simplement blessant. Vous finissez par croire que l’on vous dit jour après jour est vrai. Il y a quelques années, un ami et moi entrions dans un restaurant nommé Denny’s, lorsqu’une personne qui conduisait m’a crié par sa fenêtre : « Va faire un régime, grosse cochonne ! » J’étais presque au bord des larmes. Je n’en revenais pas qu’une personne puisse faire un détour pour qu’elle puisse faire sentir un autre personne aussi moche à propos d’elle-même. Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un peut ressentir le besoin de faire cela, à quoi cela sert-il vraiment ? Je sais que je suis en surpoids, je n’ai pas besoin d’une autre personne pour me le dire, je me le dis déjà. Ou la phrase la plus courante : « Tu serais tellement plus jolie si tu perdais du poids ». Je ne sais même plus combien de fois j’ai entendu ça. Il y a environ 4 ans, je suis allé à un concert, pour m’apercevoir, seulement une fois rendue sur place, que je ne pouvais pas m’asseoir dans les sièges. Je ne savais pas que les sièges étaient comme ceux des cinémas, car avoir su, je n’aurais même pas pris la peine d’y aller. J’ai fini par perdre mon siège situé dans les premières rangées au centre, car je ne pouvais m’y assoir. Au lieu de cela, j’ai été prise pour m’accoter debout sur un siège fermé près du mur. Et lorsque j’ai demandé à une dame si elle avait des chaises pour que je puisse m’asseoir, elle m’a regardé avec un air dégoûté et m’a dit « Non, nous n’offrons pas de sièges spéciaux pour les gens de votre genre » et elle est partie rapidement. Je suis resté là, et j’ai pleuré. Je me suis sentie tellement humiliée. Les gens peuvent tellement être jugent lorsqu’ils n’ont pas à se mettre à votre place.
Si la crainte de la discrimination liée au poids était éliminée, à quoi ressemblerait votre vie ?
Ce serait simplement comme celui de toutes les autres personnes. Je n’aurais pas besoin de téléphoner à l’avance aux responsables de salle ou de restaurant pour savoir d’avance à quoi ça ressemble ou si leurs chaises sont munies de bras et même si elles peuvent accueillir des personnes plus corpulentes, etc. Je n’aurais pas besoin de m’inquiéter ou même de stresser de savoir si les autres me regardaient ou chuchotaient lorsqu’ils me verraient entrer dans une pièce. Car, pour le moment, bien que j’essaie de les ignorer, je sais qu’ils le font.
Ressentez-vous que votre poids vous ait créé des obstacles ? Par exemple, avez-vous déjà abandonné une activité que vous aimiez vraiment à cause de votre poids ? Ou y a-t-il d’autres circonstances dans lesquelles votre poids a pu vous embarrasser ?
Il est certain que cela m’a créé des obstacles. Je n’ai pas été en mesure de continuer à travailler à cause de mon poids. J’ai quitté l’école à cause de mon poids. J’ai arrêté de sortir de chez moi, sauf lorsque j’y suis absolument obligée. Je n’ai pas pu avoir d’enfant à cause de mon poids. J’ai tellement manqué de choses dans ma vie parce que je ne voulais pas me permettre de les faire par peur d’être jugé ou simplement parce que je ne le pouvais pas. J’ai appris à conduire, jusqu’à ce que je sois trop grosse pour m’insérer derrière le volant.
Comment vos opinions et vos croyances au sujet du poids influencent-elles la façon dont vous voyez les autres ? Pourquoi pensez-vous que c’est comme ça ?
Je ne pense pas vraiment que mes croyances soient influencées par le poids. Je pense qu’en général il y a beaucoup d’idées fausses, mais je fais de mon mieux pour ne pas juger les autres selon ce qu’ils croient, même si cela est blessant pour moi. Chacun a droit à son opinion. J’aimerais simplement qu’il y ait plus de gens qui s’informeraient, plutôt que de présumer des réponses. J’ai choisi d’être compatissante et compréhensive, car je sais ce que c’est que d’être jugée pour des choses qui ne sont pas facilement contrôlables. Chacun a ses propres combats auxquels il doit faire face, ce n’est pas à moi de les juger sur la manière dont ils les gèrent. Je préfèrerais encourager et soutenir une personne, plutôt que de la juger et de la démolir.
Selon vous, quelles seraient les idées fausses les plus courantes concernant l’obésité ? Comment pensez-vous que la stigmatisation contribue à ces idées fausses ?
Je pense que l’idée fausse la plus répandue est celle où les gens ne restent assis et ne font que manger toute la journée. Ce n’est souvent pas du tout le cas, et souvent il y a des circonstances cachées. Une autre idée fausse courante est celle où les gens croient que les personnes obèses sont paresseuses et ne le font que pour attirer l’attention. Je crois que l’obésité est surtout psychologique. Bien sûr que cela affecte le corps physique, mais aussi l’esprit. Ce n’est pas aussi simple que de dire : « OK, je vais manger une salade tous les jours pendant la semaine prochaine pour perdre du poids ». Il y a tellement plus que ça. Je blâme beaucoup les médias sociaux pour ces idées fausses. La manière dont les médias sociaux étiquettent les gens est si loin d’être correcte. C’est comme si toutes celles qui ne font pas une taille zéro sont alors grosses et indignes. Ils placent tellement d’attentes malsaines sur les gens. Mais la société dans son ensemble ne fait rien pour les combattre, elle l’accepte et passe à autre chose. Je crois vraiment qu’on ne peut juger une personne par ce qu’on voit puisqu’on n’a pas marché dans ses chaussures. Vous ne connaissez pas leurs luttes ou leurs douleurs, donc vous n’avez pas le droit de porter un jugement.
Si vous ressentez que votre poids est un problème pour vous, pouvez-vous nous parler du moment où vous avez l’avez réalisé ? Qu’est-ce qui a déclenché cette réaction ?
J’ai toujours su que mon poids était un problème. Mais, c’est devenu plus clair il y a environ 4 ans, c’est là que je l’ai reçu en pleine face. J’ai commencé à avoir des problèmes à marcher, ça devenait une corvée. Quand la ceinture de sécurité de ma voiture ne m’allait plus. Quand j’ai glissé et tombée sur de la glace et que j’ai eu énormément de difficulté à me relever. C’était une foule de petites choses qui s’additionnaient. Je viens de réaliser que je vivais de moins en moins dans le monde réel. Je savais que je devais faire quelque chose et rapidement. Je voulais avoir des enfants un jour, mais tant que j’avais ce poids et que je continuais à en prendre ; je savais que je n’y arriverais jamais. J’ai eu beaucoup de problèmes de santé à cause de mon poids : du diabétique de type 2, de l’hypertension de stade 3, des problèmes de thyroïde, du cholestérol élevé, de l’arthrite dans les deux genoux. J’ai été diagnostiqué un grave problème d’apnée du sommeil. J’ai eu beaucoup de problèmes avec mon cycle menstruel, ce qui m’a empêchée d’avoir des enfants. Chacun de mes problèmes a été causé par mon poids. Même mon isolement par rapport aux autres était dû à mon poids. Les amis et la famille ont cessé de m’inviter puisqu’ils savaient que je ne pouvais pas y aller ou que je leur dirais non. J’ai décidé que je voulais retrouver ma vie et que j’étais trop jeune pour mourir. C’est ainsi que je me suis inscrite à la clinique Weight Wise (à Edmonton en Alberta). J’ai été traumatisée lorsqu’un jour, j’ai embarqué sur la balance et que j’ai vu qu’elle disait que je pesais 235Kg (517 lb). Jamais dans mes rêves les plus fous je n’ai pensé que je pesais autant… j’ai pleuré. Mais j’étais déterminée à faire un changement et c’est ce que j’ai fait. C’était en septembre 2016. Je suis toujours classé comme étant obèse, mais les chiffres sont en baisse. J’ai présentement perdu 80Kg (175 lb) et je ne pourrais pas être plus heureuse.
Où voyez-vous le besoin d’organisme tel qu’Obésité Canada et qu’espérez-vous que nous puissions réaliser ensemble ?
L’éducation du public qui est le plus grand besoin, selon moi. Je sais qu’on ne peut pas changer des années de stigmatisation et d’idées fausses du jour au lendemain, mais ce serait bien de savoir que les gens sont mieux informés. Mon plus grand espoir, pour moi qui participe à cette expérience en vous partageant mes pensées, mes expériences de ce parcours de vie, seraient d’encourager les gens. Même si ce n’était qu’une seule personne, j’aimerais qu’elle sache, qu’elle n’est pas toute seule. Qu’elle sache qu’il y a de l’aide pour elle et qu’elle ne devrait pas avoir honte d’avoir besoin de demander de l’aide. La manière dont le public perçoit les personnes en surpoids ou obèses peut être très dommageable pour une personne qui a déjà un état d’esprit fragile. Je parle en tant qu’expérience, souvent, nous nous détestons déjà nous-mêmes, et détestons les choix que nous avons faits, qui nous ont menés là où nous sommes aujourd’hui. Nous n’avons pas besoin d’une autre pour nous dire ce que nous savons déjà. Un peu d’amour et de compassion font énormément de chemin dans les yeux de quelqu’un qui se débat. Si en partageant mon histoire, je n’aidais, ne serait-ce qu’une seule personne — alors, j’aurai réussi ce que je m’étais mise en tête de faire.