Le document suivant a été préparé par les membres du comité collaboratif d’Obésité Canada intitulé «L’importance de chaque corps» : Ximena Ramos Salas, PhD; Sara Kirk, PhD; Angela Alberga, PhD; Mary Forhan, OT/PhD; Shelly Russell-Mayhew, PhD; Erin Cameron, PhD; Sarah Nutter, PhD; Arya M. Sharma, MD/PhD.
Les organisations suivantes ont offert contribution et appui à ces appels à l’action :
- Obesity Canada, Public Engagement Committee
- Obesity Action Coalition
- European Coalition for People living with Obesity
- Riksförbundet HOBS – Hälsa oberoende av storlek
- Obesity UK
- Obesity Medicine Association
- The Obesity Society
- European Association for the Study of Obesity
- Montreal Behavioural Medicine Centre
- International Behavioural Trials Network
- Canadian Association of Health Behaviour Change and Promotion
- Canadian Psychiatric Association
- Health Psychology Section, Canadian Psychological Association
- World Obesity Federation
- Behavioural Medicine Section of the Canadian Psychological Association
- Heart and Stroke Foundation of Canada
- Canadian Association of Bariatric Physicians and Surgeons
- Diabetes Canada
- Canadian Association of Cardiovascular Prevention and Rehabilitation
- Canadian Society of Endocrinology and Metabolism
Les personnes vivant avec l’obésité expérimentent régulièrement tant des préjugés liés au poids, de la stigmatisation, que de la discrimination. Cela est partiellement dû à la méconnaissance de l’obésité en tant que maladie chronique, qui se caractérise par une adiposité nuisible à la santé et non seulement par une corpulence ou par un indice de masse corporelle (IMC) élevé. Le rôle joué par les préjugés liés au poids, la stigmatisation et la discrimination en milieu de soins de santé est maintenant bien documenté.1,2 De récentes données démontrent que les personnes ayant une obésité peuvent être plus à risque de développer des complications sévères de la COVID-19, requérant ainsi un accès aux soins intensifs.3–6 En se fondant sur les recherches existantes tant en matière de préjugés liés au poids que sur celles de gestion de catastrophes, de nombreuses et importantes implications émergent pour les professionnels de la santé à tenir compte lors de cette pandémie de la COVID-19.
Les préjugés liés au poids et la stigmatisation à l’égard de l’obésité en milieu de soins
Il est bien démontré que certains professionnels de la santé peuvent adhérer à des préjugés liés au poids et à de la stigmatisation envers des patients vivant avec l’obésité.7,8 Il existe également des preuves robustes démontrant que les patients ayant une obésité perçoivent que les traitements qu’ils reçoivent en milieu de soins de santé sont discriminatoires; et que ces perceptions puissent influencer leur désir de s’engager vers les services offerts en soins primaires.9 Certaines personnes ayant une obésité signale une attitude condescendante et irrespectueuse de la part de professionnels de santé ainsi qu’une communication défaillante, notant que ceux-ci condamnent la majorité de leurs problèmes de santé à leur excès de poids.1 Des indications existantes suggèrent que les professionnels de la santé pourraient ne pas consacrer suffisamment de temps aux patients ayant une obésité.10,11 Les patients confrontés aux préjugés liés au poids en milieu médical peuvent décider de retarder ou même de se priver de soins préventifs essentiels, par crainte de recevoir des traitements irrespectueux ou de se heurter à des attitudes négatives de la part des professionnels de santé.12–14 La stigmatisation et la discrimination sont également considérées en tant que condition de stress chronique, dû au stress supplémentaire auquel les personnes issues de groupes stigmatisés seraient exposées quotidiennement en raison de leur position sociale.15 Le stress chronique exerce un impact significatif sur la santé mentale, et il conviendrait de tenir compte de ces stresseurs spécifiques à cette discrimination lors des approches d’intervention.16
Offrir des soins sécuritaires et respectueux aux personnes ayant une obésité implique des ressources telles que du personnel formé, du matériel et de l’équipement spécialisé.17 En temps normal, ces types de ressources font défaut en milieu de soins. En cas de pandémie ou de gestion de crise, elles peuvent présenter des défis supplémentaires, tels que la nécessité de disposer de moyens de transport adéquats, de protocoles de soins intensifs ou d’équipements appropriés, comme des lits et des chaises sur les lieux de soins intensifs destinés aux personnes vivant avec l’obésité.18 Comprendre la notion d’intersectionnalité entre les déterminants sociaux de la santé, la vulnérabilité à la pandémie de maladies infectieuses, l’obésité et la stigmatisation devient essentiel pour les interventions de santé publique.19 Bien que des recherches concernant les besoins spécifiques pour les personnes vivant avec l’obésité pour informer les décideurs de santé publique en matière de pandémie soient encore nécessaires, nous pouvons déjà dégager certaines répercussions potentielles grâce à des ouvrages publiés précédemment concernant les personnes ayant une obésité en lien avec la COVID-19 :
- Certaines personnes vivant avec l’obésité peuvent éviter ou retarder d’accéder aux services de santé lorsqu’elles présentent des symptômes de la COVID-19 par crainte de subir des préjugés et de la stigmatisation à l’égard de leur poids. Ceci peut avoir des répercussions sur le dépistage, le traitement et les soins que ces patients reçoivent lorsqu’ils se présentent à l’hôpital avec des symptômes de la COVID-19. À titre indicatif, la gravité de la progression de la maladie à coronavirus peut s’être encore aggravée, nécessitant des interventions plus aiguës et plus invasives pour ces personnes vivant avec l’obésité.
- Certains professionnels de la santé peuvent agir selon des croyances et des attitudes subjectives qui risquent d’avoir un impact sur les soins qu’ils assurent aux personnes ayant une obésité lors de la pandémie COVID-19. À titre indicatif, inconsciemment, certains professionnels de la santé peuvent ne pas accorder suffisamment de temps aux patients atteints de la COVID-19 qui ont une obésité, ce qui pourrait entraîner une surveillance moindre de ces patients ayant une obésité. Cela peut même, dans des cas extrêmes, mener à un refus de soins pour les personnes ayant une obésité, lorsque les ressources sont limitées. En outre, certains professionnels de la santé pourraient même faire preuve de préjugés explicites liés au poids en utilisant des propos stigmatisants ou en communiquant de manière moralisatrice avec des patients vivant avec l’obésité.
- Les établissements de santé pourraient même venir à manquer d’équipements de protection adéquats ou d’instruments de soins afin d’accueillir les employés et les patients touchés par l’obésité. Cela pourrait entraîner un risque accru de propagation de la COVID-19 aux personnes vivant avec l’obésité (ce tant chez les professionnels de la santé que les patients).
Que peuvent faire les professionnels de la santé, les responsables politiques et les chercheurs en plein milieu de la pandémie de la COVID-19 ? :
- Les professionnels de la santé devraient reconnaître qu’il soit possible que des expériences antérieures de préjugés liés au poids puissent empêcher des personnes vivant avec l’obésité à solliciter de l’aide en cas de symptômes de la COVID-19. Et que ces retards d’accès aux soins pourraient avoir des conséquences sur l’aggravation de la maladie et des répercussions sur les besoins en soins intensifs des personnes ayant une obésité.20
- Les préjugés liés au poids peuvent créer un effet négatif sur des professionnels de la santé, ce tant par des attitudes que des comportements à l’égard des personnes vivant avec l’obésité. Les professionnels de la santé devraient prendre le temps d’évaluer et de réfléchir à leurs propres attitudes et croyances en matière d’obésité.12,21–23 Pour ce faire, nous vous recommandons le test Implicit Weight Bias Test (https://implicit.harvard.edu/implicit/ ) disponible en français.
- Les professionnels de la santé devraient éviter d’utiliser un langage24 et des pratiques stigmatisantes,1 puis reconnaître la complexité de l’obésité, promouvoir la santé, la dignité ainsi que le respect, et ce indépendamment du poids ou de la corpulence des personnes.
- Les professionnels de la santé devraient éviter de tirer des conclusions hâtives concernant tant le poids d’une personne que ses comportements en matière de santé.1,25
- Les professionnels de la santé devraient s’assurer que leur clinique offre un environnement qui soit accessible, sécuritaire et respectueux pour tous les patients, et ce sans égard à leur poids ou à leur corpulence, tout en veillant à ce que les salles cliniques disposent tous les équipements adaptés (par ex. brassards de tensiomètre, équipement de protection, chaises, lits) prêts à l’emploi.17
- Les responsables de la santé publique chargés de la fonction de surveillance de la COVID-19 devraient également enquêter sur les implications de l’obésité en lien avec la maladie de la COVID-19 concernant la morbidité et la mortalité.
- Les chercheurs en santé publique devraient enquêter sur l’impact qu’aura la pandémie de la COVID-19 tant sur la prévalence de l’obésité et ses complications, qu’aux répercussions sur les systèmes de soins de santé dues à la pression induite par la COVID (ex. : le report des procédures non urgentes) aux fins du traitement de l’obésité.
- Les chercheurs devraient communiquer leurs résultats au-delà de l’indice de masse corporelle (IMC) lorsqu’ils évaluent les indicateurs de surveillance pour la COVID-19 par rapport à l’obésité (par ex. : les conditions de santé préexistantes et/ou l’état pathologique, la qualité de vie, le statut socio-économique, le groupe ethnique, la qualité des soins et le temps d’accès aux soins en milieu hospitalier, etc.).
- Les gestionnaires et les responsables de politiques du système de santé, devraient travailler de concert avec les scientifiques afin de s’assurer que les réponses à la COVID-19 reflètent les nouvelles évidences telles que l’obésité en tant que facteur de risque potentiel de complications de la COVID-19 pour ainsi attribuer des ressources visant à aider les professionnels de la santé de manière à soutenir les populations à haut risque, incluant les personnes vivant avec l’obésité.
- Sachant que du point de vue populationnel les préjugés et la stigmatisation à l’égard du poids ont un impact sur la morbidité et la mortalité, les gouvernements devraient élaborer des politiques visant à prévenir ces préjugés et cette stigmatisation à l’égard du poids en milieu de soins.26,27
Obésité Canada, en collaboration avec l’Association canadienne des médecins et chirurgiens bariatriques, a élaboré de toutes nouvelles lignes directrices de pratique clinique pour la gestion de l’obésité chez les adultes. Les lignes directrices ont été acceptées et actuellement sous presse par le journal scientifique Canadian Medical Association Journal. Quelques-uns des appels à l’action présentés dans cette déclaration émanent des messages clés formulés dans le chapitre consacré aux préjugés liés au poids de nos nouvelles lignes directrices.
Références :
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