Je suis une fille ordinaire de petite ville, qui vit maintenant dans une grande ville. Je suis formée en tant que chef cuisinière et je travaille en cuisine depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir. Je suis née et j’ai grandi dans une région rurale de la Saskatchewan et j’ai emménagé en Alberta en 2014 pour y faire carrière. Les gens disent de moi que je suis forte, résiliente et avec une forte tête. Je souffre de dépression et d’anxiété depuis l’âge de 12 ans. J’ai dû faire face à plusieurs choses en peu de temps depuis que je suis sur cette merveilleuse planète, mais tout cela n’est que les premiers pas du reste de ma vie. Chaque étape m’a donné le courage d’aller de l’avant. Du fait que mes parents se séparent lorsque j’étais enfant, à celui d’aller à l’école secondaire puis de travailler à temps plein, d’être maltraitée par un petit ami, de souffrir de problèmes médicaux qui m’ont laissé avec des séquelles comme des pertes de mémoire, des problèmes de vision, des spasmes musculaires et bien d’autres choses, néanmoins rien de tout cela ne m’a jamais arrêté. J’ai gardé la tête baissée, je connaissais ma valeur et j’ai travaillé dur pour obtenir tout ce que j’avais dans ma vie.

Comment percevez-vous votre corps? Avez-vous l’impression que votre perspective diffère de celle de la société? Comment cela vous influence-t-il et comment vous sentez-vous par rapport à vous-même aujourd’hui?

Mon corps est quelque chose que je n’aime pas regarder ; je ne l’ai jamais fait et ne le ferai peut-être jamais. C’est une chose que je n’aime pas vraiment. Du cou vers le haut, je suis d’accord avec mon apparence, mais du cou jusqu’en bas, je n’en suis pas contente. Eh disons que mon point de vue diffère un peu. La société voit probablement une femme obèse de 29 ans, souffrant de problèmes de santé, d’un manque de motivation, d’une droguée de l’alimentation, d’une patate de sofa paresseuse. Eh bien, ce n’est pas le cas. Je marche en moyenne de 10 000 à 20 000 pas par jour, voire plus. Je travaille aussi dans un environnement chaud de cuisine. Je suis en assez bonne santé. Je joue au football féminin. Honnêtement, je ne supporte pas les aliments gras. J’adore cuisiner et divertir ma famille et mes amis, mais j’ai aussi un cœur plus grand que mon corps lorsqu’il s’agit d’aider mes amis ou les gens dans le besoin. Je n’arrête pas de me mettre au défi mon corps et mon esprit, d’une manière que je n’aurais jamais cru possible d’imaginer auparavant. Je surmonte des craintes que j’avais depuis des années, telles que celles d’explorer la nature sauvage, de faire de la randonnée pédestre ou des marches touristiques pour voir des choses en vacances. Je sors des sentiers battus en empruntant la route la plus difficile, juste pour me mettre au défi. Un excellent exemple ces derniers jours : J’étais sur cette île, j’y ai surmonté ma peur des traversiers, des quais océaniques et je me suis poussée à grimper et à marcher à travers des obstacles, ce que je n’aurais jamais fait auparavant. La façon dont la société traite les personnes corpulentes de nos jours est répugnante. Nous sommes des gens au même titre que la taille 2, les personnes âgées, les réfugiés ou les politiciens. Nous méritons d’avoir les mêmes droits qu’eux. Nous ne devrions pas être les vedettes de vos blagues, de vos regards ou même de votre attention. Pourquoi avons-nous mauvaise réputation, vous ne voyez jamais modèles sur une couverture de magazine de taille 6 ou plus des kiosques à journaux, ou à moins que ce ne soit négatif ou choquant ? Nous méritons d’être aimés et dorlotés comme tout le monde. D’après la manière dont la société dépeint les gens corpulents, j’ai l’impression d’être laissé dans ma vie en me demandant « si quelqu’un va m’aimer, si quelqu’un va penser que je suis normal, si quelqu’un va me donner une chance, même si je suis plus grosse que les autres ? » Aussi, arrêtez de dire que tous ceux qui sont plus gros sont en mauvaise santé. Vous ne pouvez pas juger un livre d’après sa couverture. Ou jusqu’à ce que vous sachiez ce que nous ressentons, que vous voyiez et que vous marchiez un mille dans nos chaussures et que vous voyiez les défis et les difficultés auxquels nous faisons face quotidiennement.

Comment les thèmes de l’image de soi, du poids et de la santé ont-ils été abordés lorsque vous étiez jeune? Comment cela influence-t-il votre façon de penser et de parler du corps et du poids maintenant?    

Ils en étaient à un point. J’ai fait du patinage artistique 3 jours par semaine en grandissant. C’était un endroit où j’étais heureuse pour moi, jusqu’au moment où mon père m’en a retiré des pratiques, car cela prenait du temps loin de la famille. J’étais déjà tourmenté par mon poids, aussi loin que je puisse me souvenir. Je me rappelle la période où je voulais me cacher dans les structures de la cour de récréation pour ne pas avoir à aller à l’école. Je traînerais bien là toute la journée jusqu’à ce que l’autobus vienne me chercher. Je détestais la façon dont les gens se moquaient toujours de moi quand j’étais toujours plus lent que les autres, ou que je ne pouvais pas faire quelque chose d’aussi bien qu’eux. J’étais complètement essoufflée pendant les 20 minutes d’exercice à l’école secondaire, et une enseignante a dit à la classe : « Nous regardons le film “Super Size Me ou Malbouffe à l’américain” au bénéfice d’un camarade de classe » tandis qu’ils me dévisageaient tous. J’avais l’impression de mesurer 5 cm de grandeur et j’avais envie de pleurer pendant des jours. Ma famille et mes amis m’ont dit qu’ils me paieraient un dollar pour chaque livre que je perdrais. Ils me traiteraient de gros et d’inutile, ou ils essaieraient de me faire suivre un régime tout le temps quand j’étais à l’école primaire et secondaire. De plus, il y avait des enfants à l’école secondaire qui se moquaient de moi parce que je n’avais pas d’ami et que je n’avais jamais fréquentée une personne. J’ai simplement fait de mon mieux pour passer et obtenu mon diplôme du secondaire, car je détestais vraiment ma vie. J’ai maintenant un très faible sentiment de confiance en moi et de dignité. Pourtant, en même temps, je suis forte parce que je sais qui je suis, et maintenant je suis rendue à un point où je me fiche de ce que les autres pensent de moi. Nous savons tous que nous avons des jours où nous aimons notre corps. J’ai finalement arrêté de me concentrer sur la balance ou sur les chiffres. Je crois que vous n’êtes pas définis par ce nombre, mais bien par la qualité de vie que vous vivez et par le bonheur que vous vous donnez. Croyez en vous-même et vous pouvez faire tout ce que vous déciderez.

Pouvez-vous me parler d’une situation où vous avez ressenti de la discrimination ou un jugement envers vous (ou pour une autre personne) en raison de votre poids ou de votre corpulence? Et pourquoi cette expérience précise se démarque-t-elle dans votre esprit?

Euh, combien de temps avez-vous exactement ? J’ai tellement d’histoires de discrimination ou de jugement au sujet du poids que je pourrais écrire un roman là-dessus.

  1. Avoir été invitée à une soirée dansante à l’école par un gars que je trouvais gentil et dont j’avais le goût de connaitre plus. Alors, j’ai prévu d’aller à la soirée avec lui. Ma mère m’a conduit en ville et allait attendre pour me ramener à la maison après la soirée, mais il ne s’est même pas présenté. Il a demandé à l’un de ses amis de me dire : « Pensais-tu vraiment qu’il avait envie d’en savoir plus sur une grosse fille comme toi ? Trouve-toi une vie, pis perds du poids, parce que tu es dégoûtante…
  2. Être ridiculisée par les filles qui habitaient autour du lac parce que je ne pouvais pas faire du ski nautique, car le bateau ne pouvait pas me tirer, puisque j’étais trop grosse…
  3. Entrer dans une boutique de vêtements avec des amis de l’école secondaire et me faire dire par l’employé du magasin : « Désolé, mais nous n’avons rien qui vous fait ici », en me pointant et me jetant un regard vraiment dégouté. Je suis immédiatement sortie du magasin et je n’y ai jamais remis les pieds.
  4. Devoir me procurer un manteau de chef cuisinier fait sur mesure pour l’école culinaire, puisque la plus grande taille que j’avais en réservé, n’était pas assez grande pour moi. L’employé du magasin m’a regardé avec un air dégoûté et m’a dit : « Oh, je ne pense pas que tu aies besoin de manger encore, tu es déjà assez grosse ».
  5. Me faire dire par des gars que je dois être celle qui couche, parce que je dois être en manque d’intimité.

Ce ne sont là que quelques-unes d’entre elles qui sorte du lot, parce qu’aucune de ces personnes n’a vraiment pris la chance de me connaître pour qui je suis, elles m’ont juste jugé avant de connaître toute l’histoire.

Si la crainte de la discrimination liée au poids était éliminée, à quoi ressemblerait votre vie? 

Honnêtement, je pense que ce serait complètement différent à bien des égards. Je serais probablement mariée, une mère avec une carrière que j’aime et je ne souffrirais pas tout le temps de dépression et d’anxiété sociale. Je serais probablement un esprit libre, n’ayant pas à me demander à quel point je vais être jugé en faisant les choses que j’aime réaliser.

Ressentez-vous que votre poids vous ait créé des obstacles? Par exemple, avez-vous déjà abandonné une activité que vous aimiez vraiment à cause de votre poids? Ou y a-t-il d’autres circonstances dans lesquelles votre poids a pu vous embarrasser?

Oui, cela a créé énormes d’obstacles. J’ai abandonné le patinage artistique, l’équitation, la pêche blanche et la pêche estivale. Je me force maintenant à ne pas me laisser arrêter de jouer au football. Je me pousse à aller au-delà de mes croyances et de mes limites. Cela a aussi nui à mon amour de la vie parce que je n’ai pas confiance en moi. Honnêtement, je ne me suis jamais vraiment senti aimé d’un homme. J’ai tellement été utilisée. Je veux aussi vraiment avoir une relation avec un homme ; je veux vraiment l’intimité et l’amour dans la vie.

Comment vos opinions et vos croyances au sujet du poids influencent-elles la façon dont vous voyez les autres? Pourquoi pensez-vous que c’est comme ça?

Oui un peu, mais je suis aussi le genre de personne qui veut savoir, ou même questionner, la personne derrière eux. Je ne peux pas juger quelqu’un quand je ne le connais pas. Je ne veux pas non plus être celle qui porte un jugement sur quelqu’un quand je ne connais pas toute son histoire, ou les choses qui l’ont conduite à faire ses choix de vie.

Selon vous, quelles seraient les idées fausses les plus courantes concernant l’obésité? Comment pensez-vous que la stigmatisation contribue à ces idées fausses?  

Qu’on mange, qu’on mange, qu’on mange pis qu’on mange. Que nous sommes paresseux ! Que nous ne sommes pas en santé parce que nous nous en fichons. Que c’est nous qui nous sommes infligé ça ! Que nous sommes un fardeau pour le système de santé ! Eh bien, nous ne mangeons pas seulement pour manger et encore manger ; nous mangeons pour survivre et pour avoir l’énergie dont nous avons besoin pour vivre. Nous ne sommes pas paresseux. La plupart d’entre nous souffrent trop des problèmes que nous rencontrons avec nos articulations et notre dos parce que nous n’avons pas la même priorité médicale que les personnes normales. Nous nous soucions de nous-mêmes, mais si les médecins et les professionnels de la santé ne nous donnent pas les soins dont nous avons besoin pour survivre au quotidien, alors nous déprimons parce que nous sommes les  seuls à lutter pour notre vie. Ce n’est pas seulement nous qui sommes arrivés ici, c’est notre société qui nous a amenés ici. Notre alimentation est si pauvre en nutriments, et il y a des médecins qui poussent à prendre des médicaments qui ont comme effet secondaire la prise de poids, causant différents problèmes dont nous ne souffrions pas avant. Nous ne sommes pas un fardeau pour le système de santé, la plupart des médicaments ne sont même pas couverts par le gouvernement ou même par les régimes d’assurance-médicaments. L’obésité est une maladie chronique et nous sommes mis de côté pour les personnes atteintes de cancer, de SP et d’autres maladies chroniques. Il a été prouvé qu’il cause de multiples types de cancer, des problèmes de santé mentale, le diabète de type 2, et bien d’autres. Pourtant, les gens semblent penser qu’il est acceptable de laisser quelqu’un recevoir des soins pour une chirurgie bariatrique avec période d’attente de 2 ans et plus avant d’être vu pour la première fois en clinique, puis un autre 1-2 ans avant la chirurgie. La plupart d’entre nous risquent d’être morts avant ces dates ou d’être refusés parce que les choses ont trop progressé et qu’ils ne pensent pas qu’il est sécuritaire de le faire. Je sais par expérience qu’une personne atteinte d’un cancer ou d’une maladie auto-immune reçoit un traitement médical plus rapidement et est traitée différemment. Je me souviens encore des regards que j’ai reçus quand j’étais à l’hôpital à cause de mes migraines et de tous les autres examens médicaux que je faisais. Tous les regards que vous jettent les gens, les infirmières et les médecins m’ont fait me sentir mal de même être là.

Si vous ressentez que votre poids est un problème pour vous, pouvez-vous nous parler du moment où vous avez l’avez réalisé ? Qu’est-ce qui a déclenché cette réaction?   

Honnêtement, le moment décisif pour moi a été lorsque les médecins m’ont dit que je deviendrais handicapée à un certain moment, mais qu’ils ne pouvaient pas me le garantir quand, puisque j’avais déjà des effets secondaires. Tout ce qu’ils faisaient, c’était de me pousser de plus en plus vers les produits pharmaceutiques. J’en suis arrivé au point où j’ai commencé à chercher moi-même d’autres moyens pour atténuer la gravité de mes problèmes de santé par rapport aux deux conditions qu’ils m’avaient diagnostiquées, et c’est l’intervention bariatrique qui a donné les meilleurs résultats. Alors à 22 ans, j’ai pris l’avion pour Puerto Vallarta, au Mexique, et j’ai commencé mon aventure vers une version de moi-même plus saine. J’ai souvent été interrogée sur le « pourquoi le Mexique ? », « Pourquoi la chirurgie ? », « Pourquoi ne pas manger moins et bouger plus ? », « Tu as juste pris la voie de la facilité…. tu as fait tout le reste avant. Pourquoi penses-tu que ça, va aider ? » Ce ne sont pas toutes les objections que j’ai entendues. Mais je les aie regroupé sous la forme de : « Que feriez-vous si demain matin vous ne saviez pas si allez-vous réveiller à cause d’une condition dont vous souffriez ? À combien évaluez-vous votre vie ? » Je savais que ma vie valait la peine, que je me battre pour elle. J’avais un neveu de 4 ans avec qui je voulais jouer dehors. Je voulais aussi avoir un jour mes propres enfants, aller me promener et ne pas avoir l’impression de mourir, ou même aller nager au lac sans que les gens me regardent, parlent de mon poids, ou fassent des commentaires grossiers. Ma vie était faite pour être vécue et je n’étais pas faite pour rester à l’intérieur d’une maison parce que je souffrais trop. Alors maintenant, je vis ma vie comme je le veux, autant que je le peux, et je fais savoir aux gens que la chirurgie n’est pas la solution de facilité.

Où voyez-vous le besoin d’organisme tel qu’Obésité Canada et qu’espérez-vous que nous puissions réaliser ensemble?

Je perçois bien le besoin d’éduquer les gens qui ne comprennent vraiment pas nos luttes quotidiennes, de manière à nous aider à obtenir l’égalité avec le domaine médical et à nous aider à nous battre pour obtenir les mêmes soins que n’importe quel autre patient atteint de la même maladie. Les stats démontrent que l’obésité est élevée au Canada et que si nous n’avons pas d’organisation pour défendre nos droits, notre situation s’empirera. Si seulement nous pouvions obtenir les traitements et l’aide dont nous avons besoin à temps, nous n’aurions pas autant de problèmes. Il y a un tel préjugé à propos de l’obésité. Les gens ont vraiment besoin de faire leurs recherches et pour s’apercevoir que ce n’est pas tout à propos de ce que nous mangeons ou du « manger moins, bouger plus » ce n’est pas toujours une option. Pour moi, ce sont les médicaments que les médecins m’ont prescrits pour d’autres problèmes de santé qui m’ont fait prendre trop de poids. Ainsi, avoir un groupe de personnes motivées et bienveillantes qui connaissent nos luttes quotidiennes est formidable pour qu’ainsi elles puissent se battre pour créer le changement.