J’ai 59 ans, je suis une femme, une mère, une grand-mère, une sœur, une tante et une amie. J’ai pris ma retraite après une carrière dans la fonction publique. Je me considère comme une personne relativement extravertie et positive avec beaucoup de bons amis et plusieurs relations à long terme. Je suis obèse depuis la petite enfance, cela a débuté vers l’âge de 2 ans.
Comment percevez-vous votre corps ? Avez-vous l’impression que votre perspective diffère de celle de la société ? Comment cela vous influence-t-il et comment vous vous sentez par rapport à vous-même aujourd’hui ?
Je me sens très reconnaissante envers mon corps d’avoir été aussi fort dû au fait qu’il a dû transport de ce poids pendant tant d’années. Je crois fermement que je vois mon corps différemment de la société d’aujourd’hui. Je crois qu’une personne ne devrait jamais être jugée sur sa physionomie extérieure. Ma valeur n’est pas déterminée par mon apparence. La dernière chose dont je m’attends à ce que les gens se souviennent de moi, c’est de ma taille. Je suis toujours surpris de m’apercevoir que la personne que je vois dans le miroir n’est pas celle que je vois sur les photos. C’est fou à quel point mon image miroir est beaucoup plus petite, que l’image des photos. Pourtant, j’ai un ami qui pèse environ 30 kilos (100 lb) de moins que moi avec plusieurs centimètres de plus, et qui pourtant pense que nous sommes de la même taille. Apparemment, l’obésité se joue de notre esprit et nous nous voyons tous différemment.
Comment les thèmes de l’image de soi, du poids et de la santé ont-ils été abordés lorsque vous étiez enfant ? Comment cela influence-t-il votre façon de penser et de parler du corps et du poids maintenant ?
Dans ma famille, l’obésité est la norme et mon poids ne m’a jamais vraiment bouleversé, jusqu’au jour où ma mobilité est devenue un problème. Je m’attendais et considère que j’ai eu une vie normale. Je n’ai jamais pensé que je devais être différent de ce que je suis. J’ai toujours été active, aimée, souriante, travaillé avec le public, voyagé, eu une famille, fait du bénévolat, eu beaucoup d’amis et j’apprécie la vie en général. Je sais que pour de nombreuses personnes obèses, ils ont beaucoup souffert d’être ridiculisées et exclues de leur famille et de leur communauté. Je me sens mal pour ces personnes, et je suis autant plus reconnaissante que cela n’ait jamais été un problème dans ma famille immédiate ou élargie, ni même au sein de ma communauté. J’étais une étudiante avec des distinctions honorifiques et même si j’étais obèse en cours de conditionnement physique ; j’ai eu la chance d’avoir de merveilleux professeurs qui croyaient que tant l’étudiant se présentait et faisais un effort pour participer, il obtenait un A. Je crois que les médias et l’industrie de la mode sont en grande partie responsables des attentes irréalistes de l’image corporelle. Le cœur et l’âme d’une personne proviennent de son intérieur et non de l’extérieur. J’essaie de rester le plus possible à la mode et à jour parmi les options limitées qui me sont offertes, mais je sais bien que ma corpulence n’est un secret pour personne.
Pouvez-vous me parler d’une situation où vous avez été victime de discrimination ou de jugement en raison de votre poids ou de votre taille (ou de celle d’une autre personne) ? Pourquoi cette expérience particulière se démarque-t-elle dans votre esprit ?
Même si mon poids n’était pas un problème dans ma famille, je me souviens de tous les cas où mon poids a fait partie de la conversation. Je n’ose même pas m’imaginer à quel point cela doit être difficile d’être ostracisé continuellement ; car si même pour quelqu’un qui comme moi, n’a jamais souffert, mais qui a malgré tous des souvenirs d’expériences ressortent dans son esprit et ce même après 40 ans.
i)La première et l’unique fois où je me suis sentie ridiculisée en public, c’était lorsque j’étais enceinte. Je magasinais dans un grand commerce lorsque deux adolescents riaient et faisaient des commentaires grossiers à propos de ma taille. Ma sœur cadette était avec moi et elle les a juste engueulé en disant qu’ils devraient arrêter d’être impolis et méchants parce que je ne peux pas faire autrement que d’être qui je suis. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter avec ça, puisque ces garçons étaient ignorants et ne savaient rien de moi.
ii) Un autre incident s’est produit lorsque j’avais 17 ans. Un chirurgien m’a dit que je devais perdre du poids, car autrement la prochaine opération me tuerait. Je suppose que c’était censé être une stratégie effrayante. Ça n’a pas aidé.
iii) Le commentaire le plus mignon que j’ai eu provenait un jeune cousin de mon mari. L’enfant avait environ 4 ans et m’a demandé pourquoi ma tête était si petite. Qu’il soit béni. Je lui ai dit que nous naissons tous différents. Il a les yeux bleus, et moi les yeux bruns. Il est petit et je suis grosse. Il était très satisfait de cette explication factuelle et m’a dit qu’il m’aimait.
iv) Il y avait un adolescent qui au secondaire disait que j’étais très jolie, mais que je serais vraiment belle si je perdais du poids. Je pense que ce commentaire m’a plus irrité que blessé. Une sorte de « Euh…WTF », de toute façon, c’est quoi le rapport, peu importe, la circonstance !?!
v) L’incident le plus dévastateur pour moi s’est produit il y a deux ans. Je souffre d’arthrose grave et j’ai besoin d’une arthroplastie du genou depuis près de 10 ans. Il y a cinq ans, j’ai été recommandé à une clinique de la hanche et du genou. À cette période, mon poids était probablement à son plus haut. Le médecin m’a dit que j’étais trop jeune et trop lourd, donc que je devais revenir lorsque je ne pourrai plus supporter la douleur. Il y a deux ans, j’y suis retourné et le médecin m’a dit que mon IMC devait être à moins de 35 pour être opéré. Même avec une chirurgie bariatrique, mes chances de passer d’une obésité super morbide à un IMC de moins de 35 sont irréalistes. Le docteur a dit que c’était bien dommage, mais qu’il ne pouvait rien faire et m’a dit de prendre plus d’analgésiques. J’étais dévastée. Je me suis assise dans ma voiture et j’ai pleuré pendant une heure avant même que je puisse me rendre chez moi. C’était l’hiver et j’ai rentré ma voiture directement dans mon garage, je me suis sentie tellement désespérée, que pendant une fraction de seconde, j’ai songé à fermer la porte du garage et laisser le moteur de ma voiture tourner. Cela n’a été qu’une pensée éclair… peut-être une seconde… Cela m’a terrifié, qu’un médecin puisse m’affecter, au point où l’idée du suicide m’a effleuré l’esprit. Puis, je me suis mise en colère contre ce médecin impitoyable et insensible qui, depuis, a surement refait exactement la même chose à d’autres patients obèses. J’avais perdu environ 23 kg (50 lb) à la deuxième visite et 5 ans auparavant, il n’y avait pas eu d’indication telle que vous êtes trop jeune ou trop lourde et que vous devriez revenir me voir lorsque vous aurez perdu 68 kg (150 lb). J’estime que le système médical m’a vraiment rendu un mauvais service en omettant ces indications. L’attente pour simplement être admise à une clinique d’obésité à Edmonton (Alberta) est de presque deux ans, et ce dès le moment que vous avez la référence du médecin, puis il peut encore s’écouler quelques années avant que vous puissiez avoir recours à la chirurgie. Avoir su que c’était mon seul espoir pour avoir une arthroplastie du genou, j’aurais entamé les démarches pour cette option bien avant que ma mobilité et ma qualité de vie ne soient si compromises.
J’ai récemment parlé à une amie au sujet de ces incidents et elle m’a dit qu’à chaque fois que nous sortions ensemble, elle voit des gens qui me regardent et qu’elle aimerait juste arranger leur portrait. C’est drôle à quel point je ne m’en aperçois même pas ça quand ça arrive autour de moi. Je suppose que je devrais me croire chanceuse.
Si la peur de la discrimination liée au poids était éliminée, à quoi ressemblerait votre vie ?
Je ne sais pas si ma vie serait vraiment très différente, à l’exception peut-être de ne pas me sentir si mal pour tous ceux qui ont subi un traumatisme émotionnel majeur à cause de leur obésité. Si la société réfléchissait davantage aux défis qu’affrontent les personnes obèses, probablement que je voyagerais davantage et que je ne serais pas si inquiet de ne pas avoir accès à des sièges bariatriques dans les avions, les salles de bain, les restaurants et les théâtres ou même dans les cabinets médicaux, ainsi que dans les cliniques d’imagerie résonance magnétique (IRM). L’équipement hospitalier comme ceux de l’IRM sont un cauchemar. Une fois, j’étais à un mariage dans une église, où les bancs étaient tellement rapprochés et je ne pouvais même pas entrer dans la rangée ; j’ai dû partir. Il n’y avait absolument aucun autre siège. Une autre fois, dans la chambre d’un hôtel, il y avait une toilette placée dans une alcôve entre deux murs. J’étais incapable de l’utiliser, j’ai fini par aller dans un restaurant pour utiliser leurs toilettes pour les dames. J’ai à peine réussi à entrer dans la cabine de douche. J’ai travaillé à l’Assemblée législative albertaine pendant 27 ans et je n’ai assisté que deux fois aux périodes de questions pendant toutes ces années, parce qu’un seul siège qui me convenait, et celui-ci étaient destinés à la sécurité. Heureusement, il y a eu une retransmission en direct à mon bureau.
Pensez-vous que votre poids a créé des obstacles pour vous ? Par exemple, avez-vous déjà abandonné une activité que vous aimiez vraiment à cause de votre poids ? Ou y a-t-il d’autres façons dont votre poids vous a gêné ?
Certes, mon poids a créé des obstacles. Moins lorsque j’étais plus jeune, mais certainement lorsque j’ai atteint mon poids maximum vers l’âge de mes 50 ans. Je suis maintenant aux prises avec de graves problèmes de mobilité ainsi que des douleurs physiques extrêmes. Un long vol est hors de question. Même si j’achète 2 sièges, le fait de ne pas pouvoir utilisé la salle de bain ou ni même de pouvoir me lever et me déplacer facilement dans la cabine élimine les longs vols. J’ai annulé des événements où il n’y avait pas de place pour les personnes obèses, les événements utilisant des chaises pliantes, les cours de formation continue, les événements sportifs, les concerts et les productions théâtrales. J’ai également annulé les événements où la distance de marche entre le stationnement et l’entrée est ingérable. Je ne peux plus faire de longs trajets sur la route, car mon genou devient trop raide et douloureux, quelle que soit la distance parcourue. Cela s’est traduit par le fait de manquer un voyage à travers le Canada en compagnie d’un grand groupe d’amis pour le 150e anniversaire. Cela a nui à ma capacité de faire du bénévolat, car je dois toujours être consciente de mes limitations physiques et de leur capacité à répondre à mon besoin de sièges adaptés pour l’obésité. Cela m’a également affecté financièrement. Mon obésité m’a coûté aussi d’importants montants en dépenses personnelles. Des milliers de dollars dépensés en divers programmes de perte de poids. La location de triporteur dans les grandes surfaces. Débourser pour de réguliers massages et des séances de physiothérapie, et ce, en plus de ceux que j’ai par le meilleur plan de soins de santé que je peux m’offrir. Payer de sa poche les médicaments contre l’obésité (Contrave), le cannabis médical pour le soulagement de la douleur ainsi que les appareils pour l’aide à la mobilité. Le coût des formulaires médicaux destinés aux requêtes des programmes fédéraux et provinciaux (p. ex. crédit d’impôt pour personnes handicapées, affiche de stationnement pour personnes handicapées, etc.) ainsi que celui destiné pour le coût des programmes de billets d’avion pour une personne et un tarif supplémentaire (celui-ci doit être renouvelé chaque année). Le coût d’un deuxième siège d’avion pour les vols non domestiques et d’un siège supplémentaire pour les vols antérieurs à la mise en œuvre du programme de tarif unique « une personne, un tarif ». La nécessité de réserver un transport adapté ou une fourgonnette pour s’assurer d’avoir suffisamment de places assises. Il y a deux ans, j’ai dû vendre ma maison parce que je ne pouvais plus monter les escaliers. Même l’achat d’une voiture est un défi, non seulement pour y monter, mais aussi pour s’assurer que les ceintures de sécurité sont bien ajustées. Au cours de ma carrière, j’ai laissé passer des occasions de promotion qui nécessitaient des déplacements ou qui requéraient ma participation en personne à cause des installations inconnues. Est-ce que cela a eu une incidence sur mon avancement ? Je ne le saurai jamais.
Comment vos opinions et vos croyances au sujet du poids ont-elles influencé la façon dont vous voyez les autres ? Pourquoi pensez-vous que c’est comme ça ?
Je pense que l’obésité a favorisé mon empathie pour tous les gens en général, ou qu’ils ont des anomalies visibles ou non. La vie quotidienne peut souvent être très difficile pour moi et je sais que je ne suis pas la seule à en faire l’expérience.
Selon vous, quelles sont les idées fausses les plus courantes concernant l’obésité ? Comment pensez-vous que la stigmatisation contribue à ces idées fausses ?
La plupart des idées fausses les plus communes sont que… les personnes obèses sont « moins », que les personnes de taille « normale ». Les personnes obèses sont encore celles qui sont les plus touchées par les blagues à la télévision, sur YouTube, dans les spectacles de comédie et dans les films. Je crois que l’obésité est la seule maladie pour laquelle la société, les médias et les organismes gouvernementaux pensent qu’il est encore acceptable de faire de la discrimination.
Si vous pensez que votre poids est un problème pour vous, pouvez-vous parler du moment où vous avez réalisé que c’était un problème ? Qu’est-ce qui a déclenché cette réaction ?
Mon poids est devenu un problème lorsque j’ai atteint mon plus haut. Je savais que je n’étais qu’à 10 livres de ne plus jamais marcher. La douleur dans mon genou est atroce, ce même avec des analgésiques, de l’aquaforme, des massages et de la physiothérapie. J’ai perdu des centaines de kilos au fil des ans, simplement pour qu’ils ne reviennent de plus belle encore et encore. Je vois la chirurgie bariatrique comme l’unique option qui s’offre à moi pour entrevoir tout espoir d’obtenir une arthroplastie du genou afin d’améliorer ma qualité de vie. Je serai bientôt trop vieille pour être admissible à une chirurgie bariatrique, la longue attente est frustrante. La douleur constante est très fatigante pour une personne et chaque mois qui passe, je remarque que ma mobilité est de plus en plus compromise. J’ai espoir d’avoir une chirurgie bariatrique cette année et je prie pour obtenir rapidement par la suite une prothèse de genou et un soulagement de la douleur. En attendant, je vis ma meilleure vie possible avec la promesse d’un avenir plus actif et joyeux.