L’article de blogue d’aujourd’hui a été rédigé par Sylvain Iceta. Sylvain est stagiaire postdoctoral à l’Institut du cœur et du poumon du Québec, Université Laval. Il est également l’actuel coordonnateur du recrutement de l’exécutif national d’OC-ENP.
Les troubles psychiatriques sont prévalents chez 30 à 70% des personnes vivant avec une obésité (1). La chirurgie bariatrique est reconnue comme le traitement le plus efficace pour obtenir une perte de poids durable et réduire le risque de comorbidités physiques (2). Est-ce également pertinent pour la santé mentale? Selon une étude récente, 16% des patients de chirurgie bariatrique ont consulté ou vont consulter un psychiatre, dont 39% le feront pour la première fois après la chirurgie (3). Ces constatations nous amènent à reconsidérer le «dogme» selon lequel la perte de poids est «systématiquement» associée à une amélioration de la santé mentale.
La prévalence globale des troubles de l’humeur chez les candidats à la chirurgie bariatrique est de 23% (19% pour la dépression (4); 3% à 6% pour le trouble bipolaire (5)). L’effet bénéfique de la chirurgie bariatrique sur la prévalence ou la sévérité de la dépression, à court et moyen terme, est désormais bien établi (6). Les résultats à long terme sont moins clairs. Certaines études indiquent des améliorations de plus de 15% de la prévalence de la dépression tandis que d’autres indiquent un retour aux niveaux préopératoires ainsi qu’une prescription plus élevée d’antidépresseurs après une chirurgie bariatrique (6). Les améliorations observées dans le temps après la chirurgie bariatrique ne sont pas exclusivement liées à la perte de poids et impliquent probablement d’autres facteurs tels qu’une diminution de l’inflammation et de la résistance à l’insuline, un meilleur fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophysaire, une augmentation des niveaux d’activités quotidiennes, une meilleure satisfaction de l’image corporelle, une amélioration du fonctionnement cognitif, des meilleures relations interpersonnelles et une meilleure santé sexuelle (7).
Des données limitées sont disponibles en lien avec le trouble bipolaire (ou la schizophrénie) après une chirurgie bariatrique. La question de l’impact de la chirurgie sur l’évolution du trouble bipolaire est pourtant une préoccupation majeure. En effet, le trouble bipolaire est considéré comme le principal facteur psychiatrique associé au taux de réadmission psychiatrique précoce après une chirurgie (8). Un taux plus élevé de rechute et d’abandon associé au temps après la chirurgie a également été rapporté chez les patients atteints de trouble bipolaire (9). De plus, la gestion du traitement après la chirurgie peut être difficile, notamment en raison des modifications potentielles de l’absorption du traitement. Il est important de porter une attention particulière aux patients souffrant de troubles de l’humeur sévères avant de valider l’admissibilité à la chirurgie bariatrique et d’assurer un suivi psychiatrique post-opératoire efficace.
Risque de suicide
Il a été établi que les candidats à la chirurgie bariatrique ont un historique plus étoffé de tentatives de suicide ou d’automutilation que la population générale (10). Une méta-analyse publiée en 2019 a rapporté un taux de mortalité par suicide de 2,7 pour 1000 et un taux d’hospitalisation par tentatives de suicide ou d’automutilation de 17 pour 1000 (11). Il y avait une augmentation significative du risque de suicide après chirurgie bariatrique (OR = 3,8) par rapport aux populations «témoins» appariées pour l’âge, le sexe et l’IMC (11). Ce risque n’a pas été trouvé comme étant directement lié aux résultats de perte de poids. Des antécédents de tentatives de suicide, de troubles de l’humeur, de troubles de l’alimentation ou d’apparition d’une dépression sévère ont été identifiés comme facteurs de risque de tentatives de suicide après une chirurgie bariatrique (7). La déception face aux attentes irréalistes, l’excès de peau, l’insatisfaction face à l’image corporelle, l’abus pendant l’enfances, la perception d’un soutien social inadéquat ainsi que les conflits familiaux, professionnels et sociaux non résolus sont des facteurs aggravants chez les patients à risque de suicide (7). Il est impératif de mener des études complémentaires afin de mieux comprendre et prévenir la mortalité par suicide chez les patients tentés de subir une chirurgie bariatrique.
Autres troubles psychiatriques
Les troubles anxieux ont une prévalence estimée à 12% parmi les adultes (4). La chirurgie bariatrique semble avoir un effet positif sur les troubles anxieux au cours de la première année. Là encore, les résultats sont controversés sur le long terme, tant en matière de prévalence que de sévérité des symptômes (6).
L’état de stress post-traumatique (TSPT), qui est connu pour être significativement associé à l’obésité, aurait une prévalence de 1% parmi les candidats à la chirurgie bariatrique (4). À ma connaissance, aucune étude n’a exploré la trajectoire de perte de poids de ces patients après une chirurgie bariatrique. Cependant, le traumatisme ou l’abus sexuel pendant l’enfance serait associée à un taux plus élevé de dépendance alimentaire ou de dépression, mais aucune différence majeure dans la perte de poids après une chirurgie bariatrique (12, 13).
On estime que le trouble déficitaire de l’attention (TDAH) a une prévalence de 20,9% chez les patients candidats à la chirurgie bariatrique (14). La présence du TDAH ne semble pas influencer la perte de poids (14). Cependant, le fait que ce trouble soit caractérisé par une impulsivité accrue et des difficultés d’attention est susceptible d’avoir un impact sur le suivi et l’adhésion au traitement à long terme. Les études sont principalement basées sur des données autodéclarées et d’autres recherches sont nécessaires pour mieux comprendre l’impact du TDAH sur les trajectoires du poids et la sécurité de la chirurgie bariatrique.
Conclusion
Les troubles psychiatriques sont particulièrement fréquents chez les candidats à la chirurgie bariatrique mais ne doivent pas conduire à contre-indiquer systématiquement une telle chirurgie. Bien que l’on s’attend depuis longtemps à ce que les patients subissant une chirurgie bariatrique s’améliorent autant psychologiquement que leur perte de poids, la littérature actuelle montre que, bien que ces troubles n’affectent pas le pronostic pondéral, ils peuvent parfois persister ou même s’aggraver après une telle chirurgie. L’un des principaux défis des années à venir sera de mieux comprendre les mécanismes conduisant à l’émergence de nouveaux troubles psychiatriques (i.e. l’anorexie mentale) ou à une augmentation de la mortalité par suicide. Un bon bilan psychiatrique préopératoire, par un psychiatre qualifié, est indispensable pour limiter l’iatrogénie psychiatrique ainsi qu’améliorer la gestion du poids et renforcer le bien-être psychologique suivant une chirurgie bariatrique.
Références
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- Morgan DJR, Ho KM, Platell C. Incidence and Determinants of Mental Health Service Use After Bariatric Surgery. JAMA Psychiatry. 2019.
4.Dawes AJ, Maggard-Gibbons M, Maher AR, Booth MJ, Miake-Lye I, Beroes JM, et al. Mental Health Conditions Among Patients Seeking and Undergoing Bariatric Surgery. JAMA. 2016;315(2):150.
5.Grothe KB, Mundi MS, Himes SM, Sarr MG, Clark MM, Geske JR, et al. Bipolar Disorder Symptoms in Patients Seeking Bariatric Surgery. Obesity Surgery. 2014;24(11):1909-14.
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